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Expertise de responsabilité médicale ou le syndrome du conflit d’intérêts

Le monde médical est un véritable microcosme et celui des Experts Judiciaires l’est encore plus.

A l’échelle nationale, le milieu de l’expertise est tout petit et lorsqu’il s’agit d’expertise en matière de responsabilité médicale, notre Cabinet a pu se rendre compte qu’il était microscopique.

En effet, tous les acteurs de la réparation du dommage corporel se connaissent, qu’il s’agisse des Experts Judiciaires, des médecins conseils de compagnie, des médecins recours de victimes et bien entendu, des avocats spécialisés.

Lorsque j’écris « se connaissent », ces liens ne se sont pas constitués en week-end ou sur un parcours de golf, mais plutôt lors des opérations d’expertise, à moins que ce soit à l’occasion de différents colloques d’informations ou de formations ou au sein de différents comités de nombreuses sociétés savantes spécialisées dans tel ou tel domaine médical.

Si « connaissance » ne veut pas dire lien d’intérêt, la limite entre le lien d’intérêt et le conflit d’intérêt est particulièrement ténue.

Il suffit de questionner les justiciables, la plupart du temps victimes, qui ne manqueront pas de vous faire part de leur étonnement en mettant l’accent sur les sourires échangés entre médecins quand il ne s’agit pas de franches rigolades, le tutoiement ou encore les échanges verbaux sur les prochaines vacances…


Tous ces éléments peuvent apparaitre comme peu rassurants pour les victimes et suscitent chez celles-ci, à juste titre, de nombreuses interrogations quant à la partialité des uns et des autres. 

Les apparences sont souvent trompeuses mais,...

Cette inquiétude chez la victime est parfaitement compréhensible car nous savons tous que l’étape de l’expertise médicale est cruciale et que nous sommes, nous avocats spécialisés, très dépendants de cette expertise médicale.

Cela est d’autant plus vrai lorsque le débat va porter sur des questions scientifiques qui seront discutées ou sur les influences de telle ou telle technique opératoire qui peut ne pas faire l’unanimité lors de l’examen médical.

Le but de cet article n’est pas de remettre en cause la probité des uns et des autres, mais il convient de se rendre compte que les apparences, qui sont souvent trompeuses, sont généralement désastreuses, surtout pour les victimes qui vont durant le temps de l’expertise, évoluer dans un monde qu’elles ne connaissent pas.

Mais au-delà de ce constat, la question que va inévitablement se poser la victime est celle de la partialité de l’Expert notamment lorsque celui-ci peut à la fois être Expert Judiciaire et médecin conseil de compagnie d’assurance.

Si à l’évidence, le praticien qui exerce dans un établissement de soins refusera une mission d’expertise judiciaire dans laquelle l’établissement en question est en cause, plus délicate est la question des médecins conseils de compagnie d’assurance qui peuvent se voir confier une mission judiciaire en qualité d’Expert Judiciaire.

  • N’y a-t-il pas là un conflit d’intérêt ?
  • L’impartialité qui doit prédominer dans le cas d’une expertise, est-elle véritablement assurée ?

Là est toute la question.

L’impartiabilité :règle d'or 

Très récemment, le Conseil d’État (11/10/2023 n°461706) a dû se prononcer dans le cadre d’une procédure mettant en cause l’impartialité d’un Expert.

En effet, ce dernier après avoir été désigné par la Cour Administrative d’Appel, a procédé au dépôt de son pré-rapport le 9 septembre 2021 alors que dans la même année, il était intervenu en qualité de médecin conseil pour le compte d’une compagnie d’assurance d’un établissement de soins dont la responsabilité était recherchée dans le cadre de la procédure qui lui avait été confiée par la Cour.

Cette situation n’avait pas cependant alerté la Cour Administrative d’Appel malgré les inquiétudes de la partie adverse. 

La Cour avait même considéré que l’Expert, en qualité de médecin, devait répondre d’obligations déontologiques et professionnelles en qualité d’Expert ayant prêté serment.

En outre, la Cour devait préciser que l’expertise s’était tenue en présence de deux autres médecins, ce qui selon elle, conférait à celle-ci l’impartialité nécessaire.

Le Conseil d’Etat a considéré que l’Expert n’aurait pas dû accepter la mission.

Le Code de la Santé Publique prévoit en effet : « Un médecin ne doit pas accepter une mission d’expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts, ceux d’un de ses patients, d’un de ses proches, d’un de ses amis ou d’un groupement qui fait habituellement appel à ses services. »

La qualité d’Expert Judiciaire impose de n’exercer aucune activité incompatible avec l’indépendance nécessaire à l’exercice de la mission judiciaire.

Ce n’est pas à l’Expert de faire son examen de conscience mais il appartient au Juge saisi d’une question d’impartialité, de rechercher si les éléments mettant en cause la probité de l’Expert, sont de nature à susciter un doute sur son impartialité.

Dans le cas susvisé, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt de la Cour et renvoyé cette affaire afin qu’un nouvel Expert soit mandaté.

Chaque cas étant singulier, il conviendra d’analyser concrètement chaque dossier en cas de doute sur la partialité de l’Expert désigné.

Difficulté de prouver le conflit d’intérêts

Démontrer un conflit d’intérêt n’est pas chose aisée.

Une simple apparence de conflit d’intérêt pourrait cependant être suffisante.

La vraie question est donc de savoir quand y a-t-il apparence de conflit d’intérêt.

Selon le Conseil d’Etat, les indices à retenir sont :

  • la nature,
  • l’intensité,
  • la date et la durée des relations qui ont pu exister entre l’Expert et la partie concernée.

En conclusions, cette décision s’avère intéressante car, pour l’avoir très souvent vécu, il est particulièrement difficile d’être suivi par les Tribunaux, lorsque nous invoquons un conflit d’intérêt possible entre l’Expert et une partie mise en cause. 

Cette décision semble donc créer une brèche intéressante. 

En cas de question, n’hésitez pas à contacter notre Cabinet. C’est avec plaisir que nous nous chargerons de vous renseigner.

Cabinet CONSOLIN ZANARINI

Les Avocats de la réparation du dommage corporel

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