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Baremisation les victimes en danger

En cette période de confinement, l’Etat n’a pas perdu de temps.

C’est ainsi qu’un Décret vient de paraitre au Journal Officiel du 29 mars 2020 qui autorise la mise en œuvre d’un traitement algorithme appelé « DATAJUST », chargé de barémiser, selon un modèle, l’indemnisation des dommages corporels.

Cet algorithme va donc mettre en place une justice robotisée et suscite de fortes craintes.


Les assureurs l’ont voulu, l’Etat l’a fait

Ce souhait, concrétisé par notre gouvernement, a longtemps été appelé de tous ses vœux par les compagnies d’assurances.

Cette transformation numérique de la Justice s’inscrit dans le futur projet de réforme de la responsabilité civile.

L’algorithme est donc destiné à analyser les données de la jurisprudence sur l’indemnisation des préjudices corporels, l’objectif étant de mettre à la disposition des personnes intéressées (notamment les victimes et les Magistrats) un référentiel officiel qui permettrait de mieux évaluer financièrement l’ensemble des postes de préjudices.

Pour développer cet algorithme, deux datas scientists ont été recrutés en 2019 avec trois objectifs principaux :

  • Faire émerger un référentiel indicatif d’indemnisation,
  • Mieux informer les victimes, les Avocats et les Magistrats,
  • A terme, évaluer les lois et les politiques publiques et modéliser les évolutions législatives.

Cette numérisation aurait donc pour objet de garantir un traitement égalitaire des demandes d’indemnisation de préjudice corporel en fournissant aux Avocats des informations fiables et aux Magistrats, un outil d’aide au chiffrage des préjudices.

Mais surtout, cet outil informatique devrait permettre de réduire de potentielles inégalités entre les victimes placées dans des situations comparables.

Que prévoit concrètement le décret du 29 mars 2020 ?

Tout d’abord il convient de constater que les données numériques utilisées ne pourront l’être que pour peu de temps. En effet, leur période d’exploitation est uniquement prévue pour deux ans. Que se passera-t-il à l’issue de cette période ? Pour l’instant nous n’en savons rien.

Cet algorithme va donc extraire techniquement 41 critères issus des décisions rendues sur les trois dernières années par les Cours d’Appel Civiles et administratives (2017 – 2019).

Il va également utiliser quatre outils : un protocole d’annotation, une plate-forme d’annotation, un algorithme de pré-annotation, une interface de visualisation.

Concrètement, cet outil va extraire les informations pertinentes (?) des décisions de justice rendues et les algorithmes vont pré-annoter automatiquement les décisions, sous contrôle d’annotateur humain (?) chargé de valider et de modifier, si besoin, la pré-annotation automatique. Magique !

Une interface permettra alors aux victimes d’avoir accès au montant des réparations allouées par type de dommage pour mieux évaluer éventuellement une transaction avec leur assureur.

Exit les Avocats !

Aujourd’hui, nous ne savons même pas si les Avocats et les Magistrats pourront avoir accès à cette base de données…

Quelles sont les informations sur les dommages corporels visés ?

  • Le Décret prévoit de faire tourner l’algorithme autour des informations suivantes :
  • Nature et ampleur des atteintes à l’intégrité, à la dignité et à l’intimité,
  • Différents types de dépenses de santé et d’aménagement,
  • Coût et durée d’intervention des personnes amenées à remplacer ou suppléer les victimes dans leurs activités professionnelles ou parentales durant la période d’incapacité,
  • Types et ampleurs des besoins de la victime en assistance par tierce personne,
  • Préjudice scolaire, universitaire ou de formation, subi par la victime,
  • Etat antérieur de la victime.

Attention justice en danger

Au-delà du problème quant à la manipulation de ces informations plus ou moins bien encadrées par le texte, la véritable inquiétude est celle de l’avènement du Juge robotisé.

Adieu veaux, vaches, cochons, …

Jusqu’à présent, le pouvoir souverain des Juges s’articulait avec le principe de réparation intégrale qui tenait compte de l’aspect humain et de la singularité de chaque victime au regard des préjudices subis.

Vécu par les assureurs comme une iniquité, ces derniers ont donc fait le forcing auprès du gouvernement pour obtenir ce qu’ils ont toujours souhaité, une barémisation des préjudices, mettant ainsi au rencard le Juge, son indépendance et sa subjectivité.

Le Décret mis en place par le gouvernement va au-delà d’un référentiel ou d’une barémisation indicative puisqu’il va permettre aux victimes de directement négocier la réparation de leur préjudice avec l’assureur.

Le danger est que l’adoption d’un barème d’indemnisation va directement induire une uniformisation de l’indemnisation.

Or, certains préjudices sont rebelles à toute barémisation.

Seul un préjudice pouvant s’appréhender objectivement pourrait donner lieu à une barémisation.

En revanche, les répercussions subjectives de l’atteinte physique à l’intégrité corporelle vont, par nature, échapper à toute appréhension objective et par là même à tout barème.

Il s’agit donc de l’avènement de la disparition de la notion de réparation intégrale et du pouvoir souverain du Juge du fond sous couvert d’un principe égalitaire entre les victimes.

Mais qu’en sera-t-il de la situation de la victime dont le comportement serait de nature à limiter, voire à exclure l’indemnisation de son préjudice corporel ?

En effet, si le souci du législateur est de traiter de manière plus équitable les victimes, il conviendrait alors d’évincer, au sein du droit de la responsabilité du dommage corporel, toute considération de la faute de la victime.

Nous le voyons, l’intelligence artificielle ne résoudra pas tout.

Cependant, elle prend nettement le pas sur l’humain et notre Justice va devenir algorithmique et nos Juges des androïdes.

Quant à nous Avocats, nous risquons fort de nous fossiliser …

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