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Qu'est ce que la Perte de chance ?

De la perte de chance à la disparition d'une éventualité favorable

Le juge condamne le professionnel de santé lorsque le manquement du praticien à ses obligations a impliqué une perte de chance pour le patient, de guérir, de voir son état de santé s'améliorer, d'éviter une intervention ou un traitement à l'origine d'un accident ou d'une complication... 
L'indemnisation est fixée en fonction du pourcentage de chance perdue. Elle ne peut être intégrale, par définition. 

La faute doit avoir été démontrée (généralement sur la base d'une expertise médicale) et le dommage avoir été constaté et évalué. 
En revanche, dans le cadre de cette théorie, peu importe le fait que, si le professionnel de santé avait respecté ses obligations et n'avait commis aucune faute, le dommage serait peut-être quand même survenu. 
Les situations les plus fréquentes dans lesquelles une perte de chance est reconnue, sont :

  • les erreurs ou retards de diagnostic, 
  • les retards pour mise en route d'un traitement, d'une intervention, d'un transfert dans un établissement ou service plus spécialisé,
  • un manquement au devoir d'information (le patient aurait pu renoncer à l'intervention, ou opter pour un autre traitement...).

 

La médecine est le domaine de prédilection de la perte de chance. En effet, ce métier est soumis à une obligation de moyens : même si les professionnels concernés sont parfaitement diligents, il n'est pas certain que le résultat attendu, espéré par le patient ou le client, soit atteint.  

Les juges, mais avant eux, les experts, se trouvent obligatoirement confrontés à des suppositions, des projections. Ils se fondent sur des résultats statistiques, des probabilités : nous sommes bien dans le cadre de la chance, ou plus précisément, de la perte de chance. 
Mais, pour être indemnisée, cette perte de chance doit être certaine, "réelle et sérieuse"... et non pas purement hypothétique. 
C'est toute la question du lien de causalité, qui doit être direct et certain, entre la faute et le dommage. 
Comment concilier certitude et probabilité ? 

"L'élément de préjudice constitué par la perte de chance peut présenter en lui-même un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition de la probabilité d'un évènement favorable, encore que, par définition, la réalisation d'une chance ne soit jamais certaine" (cour de cassation, chambre criminelle, 9 octobre 1975). 
"Seule constitue une perte de chance réparable [indemnisable], la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable"
(cour de cassation, 1ère chambre civile, 21 novembre 2006). 

En dépit de l'absence de certitude sur le lien de causalité entre la faute et le dommage, il existe des probabilités réelles, pour que, sans cette faute, le dommage ne se soit pas produit ou ait été atténué.

Deux exemples de perte de chance, disparition d'une éventualité favorable.

 

Décès suite à grippe maligne :

Les faits : une patiente décède des suites d'une grippe maligne. Son conjoint et ses 8 enfants assignent le médecin généraliste, estimant qu'il a commis une faute en ne décidant pas d'hospitaliser la patiente grippée immédiatement. Il lui a fait perdre, selon eux, une chance de survie.

L'expertise : l'expert avait retenu qu'il était extrêmement difficile de dire si l'évolution de la pathologie eût été différente en cas d'hospitalisation plus précoce mais il n'excluait pas la possibilité d'un lien entre le manquement de diligence du médecin et la perte de chance de survie de la patiente.

- Jugement du TGI de Brest du 19 décembre 2007 : il n'est pas établi que la faute du médecin a fait perdre une chance de survie à la patiente ; s'il est certain que l'hospitalisation plus rapide aurait permis d'avancer l'administration de l'antibiothérapie, aucun élément médical ne permet de dire que cela aurait évité la dégradation brutale de son état de santé et son décès.

- Arrêt de la cour d'appel de Rennes du 3 juin 2009 : la cour reconnaît l'existence d'une faute du praticien, mais estime qu'il n'est pas établi que cette faute a fait perdre à cette patiente une chance de survivre à un tel syndrome respiratoire. Si le médecin avait délivré des soins consciencieux, attentifs, et diligents à sa patiente, son hospitalisation serait intervenue plus tôt et l'antibiothérapie aurait été avancée. Cependant, « il est extrêmement difficile de dire si l'évolution de la pathologie eût été différente ». Ainsi, le lien de causalité entre la faute et la perte de chance de survie n'est pas établi.

- Arrêt de la cour de cassation 1ère chambre civile, 14 octobre 2010 : la Cour casse la décision d'appel en affirmant que « la perte de chance présente un caractère certain et direct chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, de sorte que ni l'incertitude relative à l'évolution de la pathologie, ni l'indétermination de la cause du syndrome de détresse respiratoire aiguë n'étaient de nature à faire écarter le lien de causalité entre la faute commise par le médecin, laquelle avait eu pour effet de retarder la prise en charge de la patiente et la perte de chance de survie ».

En d'autres termes, l'hospitalisation plus rapide de la patiente, qui n'avait pas pu se faire par la faute du médecin, aurait certainement permis d'avancer l'administration de l'antibiothérapie. Ce manquement avéré a fait perdre à la patiente une chance de survie.

Récidive suite à absence de contention dans le cadre d'un traitement d'orthopédie dento-faciale

Une patiente se plaint de la récidive de ses troubles de l'occlusion après le traitement de son chirurgien-dentiste.

L'expertise a mis en évidence l'absence de contention après le retrait des bagues. L'expert, et les magistrats de la cour d'appel, ont estimé que cette faute n'était pas en lien direct avec la récidive de la pathologie, dès lors que la récidive aurait pu se produire, avec une probabilité non négligeable, au regard du cas clinique, même s'il y avait eu contention. L'expert avait souligné que, dans ce cas précis, il y avait "plusieurs écoles" concernant les choix thérapeutiques.

La cour de cassation, 1ère chambre civile, 22 mars 2012, casse l'arrêt d'appel : le caractère fautif de l'absence de contention après traitement impliquait nécessairement que la contention aurait pu, si elle avait été mise en place, avoir une influence favorable sur l'évolution de la pathologie.

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