Une question essentielle en matière de réparation du dommage corporel
Dans le domaine de la réparation du préjudice corporel, une question revient fréquemment :
- La naissance d’enfants postérieurement à une indemnisation du poste de préjudice assistance par tierce personne constitue-t-elle une aggravation situationnelle ouvrant droit à une nouvelle indemnisation ?
Un arrêt récent de la Cour de cassation vient préciser les contours de cette notion et confirme la possibilité pour une victime d’obtenir réparation d’un préjudice économique nouveau, même sans apparition de nouvelles lésions.
Cas concret : une victime amputée et indemnisée en 2006
Prenons le cas d’une victime d’un accident corporel survenu en 2000, amputée d’un membre inférieur (sous le genou). L’expertise médicale avait fixé un taux de déficit fonctionnel permanent (DFP) à 60 %.
En 2006, un jugement condamne l’assureur du responsable à indemniser intégralement les préjudices de la victime, y compris au titre de l’aide humaine (assistance par tierce personne).
Apparition de nouveaux besoins après l’indemnisation
Quelques années plus tard, la victime saisit le juge des référés pour solliciter une nouvelle expertise, se plaignant d’une dégradation de sa situation.
L’expert judiciaire désigné constate :
-
Aucune nouvelle lésion en lien avec l’accident initial
-
Mais une modification fonctionnelle de la situation de la victime
-
La naissance de deux enfants, générant un besoin accru d’assistance humaine
L’expert considère alors que ces éléments constituent une évolution significative de la situation, même sans aggravation médicale directe.
La victime saisit de nouveau le tribunal
Sur la base de cette expertise, la victime engage une nouvelle procédure pour obtenir l’indemnisation de cette aggravation situationnelle, et notamment une indemnisation complémentaire au titre de l’aide humaine.
La Cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt de 2023, fait droit à sa demande.
La contestation de l’assureur : pas d’aggravation médicale, donc pas de nouveau préjudice ?
L’assureur forme un pourvoi en cassation, arguant que :
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Il n’y a eu aucune évolution péjorative de l’état de santé
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L’expert n’a relevé aucune lésion nouvelle ou non détectée précédemment
-
La naissance des enfants relève d’une évolution normale et prévisible de la vie d’une jeune victime
En clair, selon l’assureur, il n’existe aucun fait nouveau de nature à justifier une nouvelle indemnisation.
La position de la Cour de cassation : une aggravation situationnelle justifiant une nouvelle indemnisation
Dans son arrêt du 3 octobre 2024 (n°23-14.915), la Cour de cassation rejette le pourvoi.
Elle retient que :
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La naissance des deux enfants est postérieure à la première indemnisation
-
Cette naissance entraîne un besoin d’assistance humaine nouveau
-
Il s’agit d’un préjudice économique distinct, indépendant de l’état séquellaire indemnisé en 2006.
???? La Cour reconnaît donc la notion d’aggravation situationnelle du préjudice, et confirme que cela ouvre droit à une nouvelle indemnisation.
Une jurisprudence constante en matière de réparation du dommage corporel
Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation en matière d’aggravation situationnelle :
Même en l’absence de nouvelle lésion ou aggravation médicale, un changement de circonstances de vie (comme la naissance d’enfants, la perte d’un aidant familial, etc.) peut justifier une révision de l’indemnisation, notamment pour les besoins d’aide humaine.
Conclusion : un principe protecteur des droits des victimes
L’arrêt confirme que la réparation intégrale du dommage corporel implique une prise en compte des évolutions postérieures à la première indemnisation, dès lors qu’elles génèrent un préjudice nouveau.
Ainsi, les victimes peuvent faire valoir leurs droits en cas :
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d’aggravation médicale
-
ou d’aggravation situationnelle, comme ici avec la naissance d’enfants
???? À retenir :
La naissance d’enfants postérieure à une indemnisation ouvre droit à une indemnisation complémentaire au titre de l’aide humaine, même sans apparition de nouvelle lésion.
